Psychologues – Lettre ouverte aux parlementaires – octobre 2021

Lettre ouverte aux sénateurs et députés, représentant les citoyens, et aux médias, représentant l’opinion publique

 

Pour que les psychologues et les usagers cessent d’être maltraités

 

Voilà pourquoi je ne participerai pas au dispositif de prise en charge des consultations réalisées par des psychologues libéraux

 

Mesdames et Messieurs,

Le Ministre des Solidarités et de la Santé, Monsieur Véran, et ses conseillers ont œuvré pour que tous les citoyens aient accès aux soins psychiques prodigués par des psychologues. Je les félicite de cette initiative. Elle est réservée seulement aux souffrances dites légères à modérées (comme si les psychologues, depuis qu’ ;ils existent, ne s’occupaient pas de toutes les formes de psychopathologie y compris sévères), avec des critères d’exclusion  et pour 8 consultations maximum (5 heures de suivi au total, par an !). Mais leur action reste néanmoins louable.

Cependant, le dispositif qu’ils ont imaginé pour la mettre en œuvre est inadéquat et inacceptable. L’ensemble de la profession n’a cessé de le leur dire, ils ont ignoré ses demandes et ont continué dans la même logique. Je souhaite vous expliquer pourquoi, en l’état et sauf modifications sur deux points essentiels, je ne participerai pas à leur dispositif.

Une personne qui souhaite rencontrer un psychologue et bénéficier de la prise en charge des consultations par l’assurance maladie devrait donc demander à un médecin généraliste une prescription ou un « adressage » (je ne vois pas la différence), ce qui revient à lui demander une autorisation. Celui-ci est censé avoir une connaissance de la psychopathologie, ce qui est étonnant. Il décidera (à l’aide éventuellement d’un questionnaire dont la passation devrait prendre quelques minutes) si la personne mérite ou pas de rencontrer un psychologue pour quelques séances gratuites pour elle.

Je vous rappelle que les psychologues qui travaillent dans le soin psychique ont une expérience et une formation de haut niveau qui leur permet d’évaluer les situations de souffrance psychique et de se prononcer sur l’opportunité d’une intervention de leur part. L’articulation et la collaboration confraternelle des psychologues et des médecins est nécessaire, et elle se déroule naturellement dans le secteur libéral. Mais soumettre la pratique des psychologues à un avis médical, même dans ce cadre restreint de la prise en charge des consultations, est incompatible avec cette même pratique. Les psychologues ne sont pas paramédicaux et ne travaillent pas sur prescription, celle-ci est antagoniste à toute démarche de soin psychique. La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine et de chimie, elle est aussi une affaire d’humanité, et les sciences humaines ont toute leur place et leur part dans la prise en compte de la souffrance psychique, à côté de la science médicale, et sans nul besoin de lui être inféodée. La préservation de l’accès libre et direct aux psychologues doit être clairement garantie.

On sait par ailleurs, la profession n’a cessé de le dire au Ministre et à ses conseillers, que le passage obligé par un médecin généraliste retarde considérablement la démarche de consultation psychologique.

Un point de détail : il aurait été dit que pour administrer son éventuel questionnaire, ce qui lui prendra quelques minutes, le médecin généraliste serait dédommagé d’une somme dont le montant est plus du double de ce que Monsieur Véran et ses collaborateurs estiment qu’une consultation de psychologue, qui dure en général au moins trois quart d’heure, devrait coûter à l’assurance maladie. Cela est tout à fait insultant pour les psychologues.

Une fois l’autorisation médicale donnée, la personne méritera quelques consultations auprès d’un psychologue, pour lesquelles celui-ci recevra une rémunération (seulement après la toute dernière séance !) qui correspond à peu près à la moitié des honoraires qu’il perçoit d’ordinaire dans sa pratique libérale. Et cela sans possibilité de dépassement d’honoraires. Après déduction des charges, la somme restante sera donc totalement insuffisante et absurde au regard des exigences du travail de soin psychique, des contraintes de l’exercice libéral, sans parler du niveau de qualification, de compétence et de responsabilité du psychologue devant les patients qu ‘il prend en soin.

Là encore, une telle considération de la valeur du travail des psychologues est insultante. Titulaires d’un Master 2 (bac+5), au minimum, ou d’un Doctorat, l’État leur chante leur rôle essentiel tout en leur réservant délibérément une place de travailleurs précaires et paupérisés ! Si l’activité libérale à ce régime était à temps plein, selon la nature des charges fixes certains psychologues se retrouveraient avec une rémunération en dessous du SMIC. Cela n’est pas digne d’une nation comme la nôtre. Les psychologues qui accepteraient de telles conditions seraient contraints de « faire du chiffre », si tant est qu’ils y arrivent, plutôt que d’exercer leur profession. Brader la pratique des psychologues n’aidera aucun citoyen. Instituer un parcours « low cost » ne soignera personne mais créera par contre de l’inégalité dans la population qui a besoin de soin psychique. La maltraitance des psychologues n’est que l’envers de la maltraitance des citoyens en situation de souffrance psychique.

Puisque Monsieur Véran et ses collaborateurs ne souhaitent pas engager une somme plus importante pour le financement des consultations par l’assurance maladie, de très nombreux psychologues se sont d’abord demandé pourquoi ces derniers n’avaient pas imaginé un système tellement plus consensuel, dans lequel les mutuelles complèteraient la part donnée par l’assurance maladie, de manière à permettre une rémunération décente. Il en est bien ainsi pour les consultations de spécialistes divers ? Un nombre important de mutuelles participent déjà, et dans une mesure bien plus large, au financement d’un certain nombre (variable selon les mutuelles) de consultations auprès de psychologues. Cela ne coûterait pas plus cher à l’assurance malad ie. Et pour le public en situation de précarité, qui ne peut cotiser auprès de mutuelles, il existe la C2S (ex-CMU-C), pour compléter. Ce serait là une mesure sociale qui aiderait de nombreuses personnes sans empêcher les psychologues de travailler.

Mais la manœuvre semble encore plus honteuse : dans son montage financier le Ministère annonce un ticket modérateur de 40 % pris en charge par les mutuelles complémentaires ! Cela est encore plus scandaleux et n’a pas fait l’objet d’une communication auprès des psychologues. La participation de l’assurance maladie à la rémunération misérable du psychologue est encore plus misérable ! Et on peut raisonnablement se demander comment vont r[1] 33;agir les mutuelles qui remboursent déjà quelques consultations, d’une manière bien plus respectueuse du travail des psychologues, et à qui on propose de ne participer que pour une part ridicule d’un montant indécent, que les psychologues n’auront pas le droit de dépasser. La tarification telle qu’elle est imposée est absurde et profondément inacceptable, et ne sert au fond que ce qui paraît être l’unique objectif de l’ensemble de cette mesure : la paramédicalisation des psychologues !

Par ailleurs, pour l’accès des psychologues au plus grand nombre, dont le public en situation de précarité, il conviendrait d’augmenter considérablement le nombre de postes de psychologues dans le service public, et avec un salaire digne. Cela vaut également pour les psychologues du secteur privé, qui participent aux missions de santé publique, et dont les rémunérations sont tout aussi désastreuses. Je félicite le Président de la République, Monsieur Macron, et le Ministre de la Santé, Monsieur Véran, pour les 800 postes annoncés, mais cela est largement insuffisant, et je ne me fais aucune illusion sur le nombre qui sera réservé à des embauches de psychologues, ni sur le salaire qu’ils vont continuer de leur attribuer (salaire délibérément bloqué, comme l’a rappelé récemment le rapporteur de la Commission des Affaires Sociales).

Le service public et le secteur privé étant asphyxiés, il faudrait maintenant paupériser encore davantage, dans le secteur libéral, une profession déjà largement et suffisamment précarisée !

J’ose penser que ces maladresses de la part du Ministère des Solidarités et de la Santé sont le fait d’une profonde méconnaissance de notre profession, et non le fait d’un irrespect voire d’un mépris de sa part envers les psychologues.

En résumé, si aucune modification concernant ces deux points n’est réalisée, si la préservation de l’accès direct aux psychologues n’est pas garantie et si la tarification des consultations n’est pas conforme à la pratique des psychologues exerçant dans le secteur libéral, soyez assurés, Mesdames et Messieurs, de ma non-participation au dispositif de prise en charge que le Ministre de la Santé et ses collaborateurs veulent imposer, et dont les enjeux électoralistes n’ont échappé à personne.

Je vous remercie de bien vouloir nous aider dans cette cause, et vous demande très solennellement de vous opposer à cet amendement du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela est essentiel pour nous toutes et tous, psychologues, mais aussi pour les usagers qui nous consultent, pour toutes les personnes en situation de souffrance psychique, pour l’avenir d’un accompagnement psychologique qui doit rester de qualité, et pour les droits et libertés des citoyens d’aujourd’hui et de demain.

Avec toute ma considération et mon respect.