Assemblée générale du Collectif de soutien du CHAM – 15 octobre 2020
Rapport moral
Le 25 mars 2019 se tenait à la Maison des associations de Châlette-sur-Loing l’assemblée générale fondatrice de notre association. En prélude à ce rapport moral, qui traitera principalement du contexte entourant la raison d’être et d’agir de notre association, j’en rappellerai rapidement les traits les plus caractéristiques pour celles et ceux d’entre vous qui, comme moi d’ailleurs, n’étaient pas présents ce soir-là.
Notre association a pour dénomination « Notre hôpital, notre santé, on y tient », Comité de soutien du Centre hospitalier de l’agglomération montargoise (CHAM). Comme le précise l’article 1 de ses statuts, elle a été créée à l’initiative des sections communistes de Montargis et de Chalette, des syndicats CGT, Sud-Solidaires et FSU, de l’association Femmes solidaires, mais aussi de citoyennes et citoyens, dans le but de regrouper celles et ceux qui sont attaché.e.s au CHAM. Elle a pour objet, selon l’article 3 de ses statuts, « de défendre l’accessibilité de toutes et tous à une médecine de proximité et de qualité », ce qui implique « le développement du CHAM et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et, plus largement de toutes les structures publiques de santé des territoires de l’est du Loiret qui sont soumises, depuis des années, à des politiques d’étranglement budgétaire et qui sont désormais gérées comme des entreprises privées ».
Près de 19 mois plus tard, il suffit que nous nous observions tous masqués dans cette salle pour réaliser qu’en pleine crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 cet enjeu de la satisfaction du droit à la santé pour toutes et tous est plus que jamais au cœur de nos vies, ici et ailleurs. Il justifie plus que jamais notre mobilisation et son élargissement pour essayer de contribuer avec d’autres – ensemble de la population, usagers, personnels soignants ou non, syndicats, associations, élus… – à une nécessaire refonte de notre système de santé, particulièrement dans le secteur public des hôpitaux, des EHPAD et des établissements médicaux-sociaux.
Neuf mois après le début de la pandémie, on est toujours en train d’attendre le « jour d’après qui ne sera pas un retour au jour d’avant » que promettait Emmanuel Macron le 16 mars dernier, à la veille d’un confinement de huit semaines. Quatre jours plus tôt, lors d’une précédente allocution télévisée, le président de la République avait déjà esquissé ce que seraient ce jour, ces jours d’après qu’il nous annonçait donc meilleurs. Je le cite : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. (…) La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte ».
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » disait Jacques Chirac, qui passait pour un orfèvre en matière de promesses. Eh bien, il est battu à plate couture par son dernier successeur ! Hier soir, lors des 45 minutes de son entretien télévisé, Emmanuel Macron n’a pas eu la moindre allusion à ses propos de mars, pas la moindre évocation des attentes des soignants, les premiers concernés pourtant par neuf mois de lutte épuisante pour sauver des vies des attaques du virus. Ils sont aujourd’hui abandonnés au bord de la désespérance, devant l’absence de moyens matériels et humains à leur disposition pour faire correctement leur métier : nous garder autant que possible en bonne santé.
Sans vouloir en rajouter au climat anxiogène que certains ne se privent pas de cultiver, c’est peu dire, en effet, que « la situation est préoccupante ». Notre système de santé est aujourd’hui au bord du gouffre. Asphyxié par l’austérité qu’aggravent depuis 30 ans les gouvernements successifs, tous n’ayant eu de cesse de marteler pour la faire passer que « la santé a un coût », qu’ « il faut réduire les dépenses publiques » et « supprimer des fonctionnaires pour alléger les déficits budgétaires et réduire la dette ».
Résultat : la pandémie de Covid-19 met aujourd’hui cruellement au grand jour tous les maux dont souffrent les hôpitaux, les EHPAD et autres établissements médico-sociaux publics : suppression massive de lits, réduction des effectifs, non reconnaissance de leur travail et de leurs compétences, pénurie de médecins organisée méthodiquement, privatisations, gouvernance technocratique et antidémocratique fondée non sur l’expertise médicale mais sur la seule logique financière et comptable, dépendance pour l’approvisionnement en matériels, équipements et médicaments, quasiment tous produits à l’étranger suite aux délocalisations et à la désindustrialisation de notre pays. Le CHAM n’a évidemment pas échappé à tout cela, comme vient d’en témoigner Véronique et comme le montrera aussi Guillaume Grandjean tout à l’heure dans son rapport d’activité, y compris d’ailleurs pour la pénétration de plus en plus poussée des intérêts privés dans le service public hospitalier et même vice versa, par exemple, pour le laboratoire d’analyses biologiques en construction à l’entrée de l’hôpital.
Ces maux conduisent à la dégradation de l’accueil et de la prise en charge des patients que nous sommes, dont l’accès à la santé est déjà malmené par la multiplication des taxes, des déremboursements de médicaments ou l’extension des déserts médicaux. Et ce malgré la gentillesse et la bonne volonté de tous les acteurs de l’hôpital public.
Les personnels soignants, médicaux et non médicaux des hôpitaux, des EHPAD et des soins ambulatoires méritent bien, en effet, les applaudissements et les hommages qui leur ont été rendus au printemps. Ils ont fait face avec responsabilité, compétences et créativité. Sans protection, sans matériel, voire sans médicament, elles et ils ont pris les affaires en main, notamment en multipliant les lits de réanimation par deux, alors même que notre système hospitalier, affaibli, déstructuré, manquant de tout depuis de nombreuses années, n’était pas le mieux préparé à accueillir des milliers de malades de ce virus inconnu jusqu’alors.
Inconnu, mais pas imprévisible, l’épidémie de Covid-19 étant la sixième épidémie à frapper tout ou partie de la planète depuis le Sida du début des années 1980. Au défaut d’anticipation se sont ajoutées l’incompétence, la confusion et l’incohérence, autres traits caractéristiques de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire par l’exécutif. Cela peut expliquer qu’une large majorité d’habitants de notre pays (61 %) jugeait, il y a peu, qu’Emmanuel Macron n’a pas été à la hauteur de cette crise. De fait, comment faire confiance quand le mensonge devient le remède pour, par exemple, masquer la pénurie de masques à la fin de l’hiver ? Quand, encore, des décisions prises en secret dans des
« conseils de défense » restreints à quelques ministres et hauts fonctionnaires ne sont pas assumées ? Je pense à celle qui a consisté à refuser d’hospitaliser les personnes âgées vivant en EHPAD : plus de 10 000 des 33 000 morts aujourd’hui recensés en France n’ont ainsi reçu aucun soin adapté et sont morts pour beaucoup dans des conditions inadmissibles, malgré le courage des personnels.
En disant cela, on ne force pas le trait. Dans un rapport d’étape, publié mardi, la Mission d’évaluation de la gestion de la crise, mandatée en juin par Emmanuel Macron, a dénoncé elle-même des « défauts manifestes d’anticipation, de préparation et de gestion » dans les aspects sanitaires. Indisponibilité des masques donc, insuffisances et dysfonctionnements dans le déploiement des tests décidé avec beaucoup de retard, manque de coordination entre les différents acteurs, mise au point laborieuse des protocoles pour la reprise de l’activité dans certains secteurs économiques, déclin de la priorité accordée à la prévention, déresponsabilisation inopportune de la population pendant le confinement accompagnée d’une communication ayant provoqué, je cite, « un sentiment d’infantilisation et de défiance », constituent autant de points faibles dans les décisions prises ces derniers mois, estime cette mission.
Et ce qui se passe depuis l’amorce, cet été, de la recrudescence de l’épidémie, dont la deuxième vague frappe aujourd’hui pleinement notre pays, renforce le sentiment d’une gestion chaotique de cette crise. Malgré l’expérience acquise par les soignants, le service public hospitalier, toujours plus sous tension, est même moins bien armé pour y faire face. Les suppressions de lits se poursuivent dans le cadre de la mise en œuvre de la loi « Ma santé 2022 » ; 8 000 lits d’hospitalisation complète ont ainsi été fermés en 2018 et 2019. L’insuffisance en personnels continue de prévaloir, et même de s’aggraver, compte tenu des démissions qui se multiplient – ainsi, 150 000 infirmières ont décidé de changer de métier ces dernières années, 34 000 postes sont vacants à l’hôpital – mais aussi des indisponibilités pour burn-out engendré par la pression de conditions de travail toujours plus difficilement supportables. Quand la grippe fera ses ravages à la fin de l’année, cela laisse craindre une implosion des hôpitaux dont les services de réanimation sont déjà à saturation. Beaucoup sont déjà repassés en plan blanc avec, dans certains d’entre eux, pour les patients non touchés par la Covid, une nouvelle déprogrammation des opérations et des soins considérés comme non urgents, ce qui entraînera probablement une future surmortalité.
En fait, quoi qu’on en ait dit M. Macron, aucune leçon n’a été tirée de la première vague, en dépit des alertes répétées des professionnels de santé. Toutes catégories, tous métiers confondus, ils sont d’ailleurs ce jeudi une nouvelle fois descendus dans la rue pour exiger ce que le « Ségur de la Santé », conclu en juillet dernier, s’est refusé à prendre en compte : un plan d’urgence décidant un moratoire sur les fermeture de lits, de services et d’établissements, la programmation de 100 000 embauches dans les hôpitaux et 200 000 dans les EHPAD et autres structures médico-sociales, avec les formations nécessaires, ainsi que 300 euros de revalorisation salariale pour tous. Mais les personnels, les médecins et la population qui les soutient majoritairement ne sont pas écoutés.
On leur a juste concédé une petite revalorisation salariale sur deux ans – dont ont d’ailleurs été exclus notamment tous les intervenants de la sphère médico-sociale – soit 183 euros d’ici mars prochain pour les paramédicaux qui ne commenceront à en voir la couleur qu’à la fin du mois. (Ajout oral : Cet après-midi, Jean Castex a finalement précisé que la dernière partie de cette revalorisation, soit 90 euros, sera finalement versée avant la fin de l’année et non plus en mars 2021). Dans le même temps, et c’est bien là une formule macronienne, des sommes fabuleuses sont pourtant consacrées à l’aide aux entreprises, sans aucune contrepartie
positive pour l’emploi d’ailleurs, comme le montrent les plans de licenciements que ne cessent de rendre publics de grands groupes ou de grandes sociétés tels Airbus, Auchan, Bridgestone, Sanofi, Hutchinson. Mais l’hôpital public, lui, reste sur le quai de la relance, avec sa dette, à peine reprise par l’État, à devoir éponger.
Nos gouvernants continuent en fait leur pilotage à vue, par à-coups, avec une stratégie illisible pour le commun des habitants. Fiasco de l’application Stop Covid ; dépistage déficient, voire même inefficace compte tenu du retard dans la transmission des résultats qui complique le traçage des cas contacts ; réduction à 7 jours de la quarantaine d’isolement ; appels répétés à la responsabilisation des Français, accusés de relâchement ; stigmatisation des jeunes, qui ignoreraient les autres générations, alors qu’ils étaient nombreux à se mobiliser pour des opérations de solidarité dans les métropoles pendant le confinement, je peux d’expérience en témoigner ; multiplication d’obligations et de restrictions incohérentes, décidées sans concertation véritable, pour imposer le port du masque dans telle rue, tel quartier ou la fermeture des bars et des restaurants dans telle ou telle ville ; protocoles allégés pour les écoles afin de favoriser le retour au travail des parents ; arrêt de la protection qu’offrait la rémunération de l’activité partielle pour la plupart des salariés vulnérables, obligés de retourner au travail malgré les risques ; refus de la gratuité des masques alors que toutes les études indiquent que ce sont les personnes socialement les plus en situation de précarité, travaillant souvent en première ligne et s’entassant dans les transports en commun, qui sont les plus touchées par le virus et la perte de ressources qu’il entraîne… On pourrait indéfiniment allonger cette liste des mesures inopérantes ou de celles qui n’ont pas été prises par le pouvoir exécutif pour juguler la crise.
Emmanuel Macron, pour qui l’intérêt économique semble prioritaire sur l’intérêt sanitaire, s’est d’ailleurs lui-même chargé de le faire, à sa manière, en annonçant hier soir la mise en place pour quatre à six semaines d’un couvre-feu entre 21 heures et 6 heures pour près du tiers des habitants du pays vivant dans neuf métropoles, dont celle d’Île-de-France. Un nouveau tour de vis à l’efficacité incertaine si l’on se fie aux données récentes de l’agence nationale Santé publique France. Celles-ci indiquent que ce n’est pas dans les lieux de convivialité, tels les bars et restaurants, ni même le soir, que se propage d’abord le virus. (Précision orale : les données qui suivent datent du 6 octobre, quelques jours plus tard il y a des changements dans l’ordre d’importance des principaux foyers de contamination, mais cela ne remet pas en cause le constat pour les bars et les restaurants). Les principaux foyers de contamination se situent en fait dans les entreprises privées ou publiques (25 % des clusters identifiés), les écoles et universités (21 %), le milieu familial élargi et les rassemblements privés (17 %). Mais bon, il faut effectivement tout faire, dès lors que l’essentiel ne l’a pas été auparavant, pour essayer de contrer la diffusion de ce virus dangereux.
Toutefois, outre que cela promet des conséquences économiques et sociales sans doute dramatiques, malgré les aides annoncées, pour les secteurs concernés par ce confinement limité et partiel n’osant pas dire son nom, voilà qui risque par ailleurs de donner du grain à moudre. Je pense là à ceux qui dénoncent, à raison ou non, l’aspect liberticide de ce type de mesures permises par le retour à l’état d’urgence sanitaire annoncé hier au Conseil des ministres. Claire Hédon, la nouvelle défenseure des droits, s’en inquiétait déjà fin septembre à propos d’un projet de loi prolongeant jusqu’à fin mars un certain nombre de restrictions au nom de la lutte contre la Covid-19. Le risque est de « banaliser et de pérenniser le recours à un régime d’exception » soulignait-t-elle, en précisant que ces mesures sanitaires « viennent considérablement limiter l’exercice des droits et libertés tels que la liberté d’aller et venir, la
liberté de réunion, le droit au respect de la vie privée et familiale ». Quoi que chacun puisse en penser, on peut être tous au moins d’accord sur le fait que cela mérite pour le moins une vigilance citoyenne.
Tout cela n’est pas le fait du hasard ou des circonstances, aussi difficiles soient-elles. C’est la résultante d’un choix politique qui s’inscrit dans la continuité de ceux des 30 dernières années, en les aggravant même. Comme en porte encore la marque l’avant-projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, présenté fin septembre aux députés. Édouard Vernier, qui suit cette question avec la plus grande attention, nous en dira sans doute plus, mais déjà cet avant-projet confirme que la logique comptable de réduction des dépenses publiques de santé continue d’être la seule boussole guidant nos gouvernants. Malgré une présentation trompeuse due à l’intégration des dépenses liées à l’épidémie, les chiffres ministériels ne parviennent pas à masquer que le gouvernement prévoit une nouvelle économie de 4 milliards d’euros sur les dépenses d’assurance maladie, dont 800 millions sur l’offre de soins.
Et déjà se profilent de lourdes conséquences, sous prétexte du déficit record de la Sécu de 44,4 milliards d’euros, qui n’est pourtant pas étranger au rôle d’amortisseur social qu’elle joue dans la crise sanitaire et la crise économique que celle-ci amplifie actuellement. La Sécurité sociale a ainsi dû prendre en charge 15 milliards de dépenses (achats des masques, de réacteurs et autres matériels manquants, arrêts maladies pour cause de garde d’enfants, etc.) alors qu’elle a connu une chute sans précédent de ses recettes, liée à la destruction de 500 000 postes, au recours massif au chômage partiel, aux exonérations et reports de cotisations sociales accordées aux entreprises. Rien de catastrophique, toutefois, ce déficit devant être réduit de près de moitié en 2022, selon les prévisions gouvernementales. Il est pourtant déjà utilisé pour justifier de nouvelles ponctions sur les revenus des assurés sociaux. La plupart d’entre eux devront ainsi mettre la main à la poche dès le 1er janvier prochain, pour un forfait de 18 à 25 euros, si leur visite aux urgences – il n’y a souvent pas d’autre solution quand on vit dans un désert médical – ne se conclut pas par une hospitalisation.
Comme vous le voyez, dans cette situation inédite, nous avons encore plus de pain sur la planche, à affiner ensemble dans la discussion plus tard, pour défendre et développer notre droit à la santé, à une santé de qualité et de proximité pour toutes et tous.